“CONFINES”. La quarantena raccontata dalla giornalista francese Danielle Dufour-Verna

Un nouveau jour

Le soleil, insouciant mais taquin, inonde de chaleur bienfaisante notre petit monde clos. Ses rayons ont joué avec l’olivier planté stoïquement devant nos fenêtres. Les feuilles, tantôt bleues, tantôt vertes, ont frissonné de plaisir, découvrant sans retenue leurs premiers bourgeons d’où s’échappe, en une multitude de grains minuscules, un nuage doré qui s’en vient tapisser le sol encore humide de ce printemps précoce. Le pépiement joyeux et étonné des oisillons, à la recherche de quelque olive oubliée, perce le silence. Que font donc ces humains qui, sans vergogne, envahissaient notre espace ? Se pourrait-il qu’ils aient atteint cet idéal de vie qu’ils nomment sagesse, donnant la main à toutes les Sophie du monde ?

Samedi 25 avril 2020. 5e semaine de confinement. 9 heures : « Je reste chez moi »

Dehors, la nature, d’abord hésitante, reconquiert peu à peu l’espace. Pour combien de temps ? Ici, dans notre petite commune verte de 10.000 habitants, jouxtant Marseille, le spectacle est saisissant. Comme il doit l’être dans les places des grandes métropoles où l’herbe, folle de joie, se fraie un passage entre des dalles pourtant scellées et où, de ci de là, des pâquerettes poussent dans les caniveaux de larges avenues. L’oreille s’habitue déjà à des bruits nouveaux, inaudibles alors, inconnus parfois : le léger souffle de l’air enjambant les barrières, le bruissement des rideaux devant la fenêtre ouverte, la patte hésitante d’un chat sur les canisses, au loin, le rire clair d’un bambin jouant dans son jardin, le crissement d’un scarabée promenant son corps lourd, le frôlement furtif d’un lézard dans les feuillages ou celui d’une abeille déjà butineuse…

Mais tout n’est pas aussi simple. Les gens de la campagne, ou ceux qui possèdent un petit jardin, une terrasse, un balcon, sont encore privilégiés. Il y a ces familles de la rue d’Aubagne à Marseille, relogées à 7 dans 20 m2. Souvenez-vous de ces immeubles vétustes qui se sont effondrés, le 5 novembre 2018, sur 8 malheureuses victimes ; victimes, non du hasard, mais d’une administration aveugle et arrogante, résultat d’une incurie qui a duré, duré… Il y a les appartements sans soleil, les enfants sans regard, le peuple sans travail, la faim qui tenaille le ventre des plus fragiles, des oubliés de la vie. Il y a les prisonniers entassés comme des bêtes, Il y a les invisibles.

Et puis il y a la peur, la peur de la mort qui hante le monde. La mort revêt à nouveau cette image lugubre, squelette encapuchonné à la longue toge noire brandissant une faux, terrible. La mort sans état d’âme, fauchant sans distinction. Sans distinction ? Non. Il y a ici, en France, toute une population, sans masques, ou presque, en première ligne, ceux que même le confinement ne peut, ne doit arrêter : les médecins, les soignants, les aides ménagères, les éboueurs, les caissiers, les boulangers, les policiers même… Car en France le port des masques a été dénigré par la haute autorité bien-pensante (sic). Fi des risques pour le peuple. Notre chef de gouvernement n’est ni physicien, encore moins humaniste, il est Banquier ! Comme tout gouvernement ‘géré’ par le néo-libéralisme, des milliers de lits ont été fermés dans les hôpitaux. On a mis des comptables à la direction des hôpitaux publics. Les infirmières, les médecins, aujourd’hui applaudis, encensés, rangés au rang de ‘martyrs’ par le gouvernement, ont été gazées lors de manifestations pacifiques peu avant l’arrivée du Covid 19 alors qu’ils réclamaient plus de moyens pour l’hôpital. Depuis des années, on délocalise à tour de bras, en Asie, ou ailleurs. Pourvu que la main d’œuvre y soit la moins chère possible, la plus malléable possible –cherchez l’erreur ! En France, en 2020, les soucis premiers de notre bon gouvernement sont la réduction du montant des retraites, l’allongement du départ en retraite, la refondation de la Sécurité Sociale, institution élaborée par le conseil national de la résistance (CNR), organe qui dès 1943 fédérait l’ensemble des mouvements de résistance hostile au gouvernement de Vichy et crée à la libération en 1945. Quand la crise du Corona Virus a éclaté, quand l’Italie, blessée, écrasée, comptait déjà ses morts, le gouvernement français souriait avec un soupçon d’ironie. Mal nous en a pris. Au lieu de tenir compte de la situation de nos frères italiens, leur préoccupation était de refouler, de piétiner, d’annihiler par tout moyen les revendications qui enflammaient le pays. Pourquoi avoir autant minimisé le risque et tardé à réagir, d’autant plus que depuis le début de la crise le CNRS avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur le risque pandémique et ce depuis plusieurs années. Il y a depuis le début un problème de transparence. Nous ne comprenons pas avec quelle logique s’articule la prise en charge de cette crise au niveau gouvernemental : tergiversations, mensonges –reconnus– et mea culpa de ministres, revirement de position, tâtonnement, mainmise sur les médias, uniformisation de l’information… Bref, la population a l’impression d’être ‘pris pour des billes’ et cela génère un malaise et des comportements à la limite de l’irresponsabilité. Des tests ? Pas de tests ? Des masques ? Pas de masques ? Jusqu’à présent les pharmacies ont l’interdiction d’en vendre à la population. Que faire ? A qui la faute ? Des gens meurent faute de soins, dans les EHPAD, par centaines. Pire, on les aide à mourir en leur injectant du Rivotril, utilisé habituellement comme sédatif pour les personnes en fin de vie. Pas de place pour eux en réanimation. Les gens meurent à la maison ou entassés dans les couloirs des services hospitaliers. On n’intube plus passés les 65 ans, faute de respirateurs ou autre… Les soignants revêtent des sacs poubelle en guise de blouses ‘stériles ?’. Les médicaments viennent à manquer. A Marseille, le professeur Raoult, adepte de La Chloroquine associé à un antibiotique, traitement faisant largement ses preuves, est dénigré par la Présidence, puis écouté, puis à nouveau dénigré. La chloroquine, traitement au coût modique de 12€, jusqu’alors en vente libre, est désormais interdite à la vente. Les médecins ne peuvent plus en prescrire sous peine d’être rayés de l’ordre. Des membres du Conseil Scientifique de l’Elysée ont des intérêts dans certains laboratoires scientifiques proposant un traitement de l’ordre de 200€. De qui se moque-t-on ?

Pendant ce temps, les gens applaudissent le personnel médical tous les soirs à 20 heures. C’est une bonne chose, bien que cela fasse un peu fête de village. A 20 heures, tous les soirs, les enfants tapent sur des casseroles, d’autres chantent ou font de la musique. Tous tapent des mains. Qu’en restera-t-il après, plus tard ? Est-ce que la crise soudera les gens entre eux dans la conviction d’un pays, d’une Europe, d’un monde uni où les seuls soucis seront la santé publique, la préservation de la planète, une économie repensée, modérée ? Qui descendra dans la rue pour revendiquer la paix des peuples et la fraternité ?

Déconfinés

Géolocalisation, partage de nos données… Tous surveillés pour contrer le coronavirus…Pour arrêter la pandémie de Covid-19, de nombreux États ont activé des moyens de surveillance massive de leur population, utilisant la géolocalisation et les données des smartphones de leurs citoyens. Mais à quel prix pour nos libertés ? Il n’existe pas meilleur moyen de contrôle politique. Attention. Cette surveillance électronique massive entrave lourdement la liberté et peut être grave de conséquences.  Au travail, les damnés de la terre… Jean Marc Coppola, élu marseillais de gauche, met en garde : « Le gouvernement prépare les esprits pour nous faire payer les conséquences de la crise sanitaire… Il ne dément pas la volonté du Medef et de certains membres du gouvernement, qui préconisent de faire travailler plus pour rattraper les profits perdus, mais il prépare les esprits pour l’ « après » en vantant les efforts de chacun dans le moment présent pour nous appeler à faire d’autres efforts pour l’économie libérale. » N’oublions pas la suppression de l’ISF etc.

Il a fallu 4 semaines à Emmanuel Macron pour découvrir que des familles souffrent doublement de la précarité et de l’isolement et que des personnes âgées souffrent de l’absence de présence de leurs familles… Ce drame sanitaire mondial révèle surtout l’impasse du dogme libéral en matière de santé et de biens communs. Et si nous sommes contraints de subir une crise d’une telle violence c’est que la France paye des années de désengagement de l’Etat en matière de santé publique et de service public. Le discours de circonstance du président de la République afin de poursuivre le confinement et sa compassion ne gomment pas l’absence de solidarité publique compensée par une solidarité populaire. Il faudra plus que des formules maintes fois entendues ( rebâtir, planifier…), la volonté de se remettre en cause, d’avoir des références historiques, pour lutter contre les inégalités sociales et sanitaires devant lesquelles nous n’avons pas tous la même vulnérabilité.
Le peuple est solidaire, pas son gouvernement. Dans les quartiers les plus populaires, la solidarité n’est pas un vain mot. Les jeunes des cités se sont organisés pour aider les plus nécessiteux. Mais il existe une autre facette que nous dévoilent les réseaux sociaux : la délation. Certains bons Français, oublieux du passé, n’hésitent pas à dénoncer leurs voisins surpris en flagrant délit d’aspiration d’oxygène. Le déconfinement sera un combat. Le jour d’après sera un combat. Un combat contre le virus, un combat contre la crise qui va nous agripper, un combat contre les forces de l’argent qui espèrent étendre leur empire, un combat contre nous-mêmes avec nos habitudes et nos insuffisances.

« Je suis d’un autre pays que le vôtre, d’un autre quartier, d’une autre solitude.
Je m’invente aujourd’hui des chemins de traverse. Je ne suis plus de chez vous. » Léo Ferré (la solitude)

Assise à mon bureau, le silence de la petite rue qui borde ma maison est perturbé par le bourdonnement d’une abeille, cherchant à pénétrer cet endroit dont nous voulons nous échapper. J’ai fêté mes 70 ans hier, avec mon mari, mon compagnon depuis 46 années. 70 ans dynamiques me disais-je : je suis journaliste en culture, nous sortions dans les théâtres et les festivals au moins quatre fois par semaine. Du jour au lendemain, je me retrouve, par la faute d’une déshumanisation programmée, faisant partie de ‘nos vieux’, de ceux qui s’en vont sans tenir la main de leurs enfants, de ceux qui n’ont plus l’âge d’être intubés, de ceux pour lesquels ils ont clamé « Protégeons nos vieux » tout en faisant énoncer par ministre interposé que l’économie ne pouvait s’arrêter à la mort de quelques vieux. Les paroles de Ferré traversent mon esprit «Je suis d’un autre pays que le vôtre… » Aurait-on décidé de se séparer de notre mémoire collective?

Danielle Dufour-Verna

Hier 24 avril, j’ai fêté mes 70 ans au soleil, privilégiée dit-on, sûrement. Hier, la communauté arménienne a commémoré le génocide arménien. Mes pensées étaient avec eux. Mes pensées sont avec les victimes de tous les génocides, de toutes les victimes des guerres et de la misère. Aujourd’hui 25 avril 2020, une chanson trotte dans ma tête : ‘Bella ciao’ chantée par les partisans, reprise à nouveau aux balcons d’une Italie qui souffre et se bat. Aujourd’hui, nos amis italiens célèbrent la libération de l’oppression fasciste et nazie. Nous sommes avec eux.

Aurons-nous des lendemains qui chantent ? Le monde saura-t-il tirer les leçons de cette crise planétaire ? Comment venir à bout de toutes les oppressions ? La nature nous appelle, sachons la respecter. L’homme ne lui est pas indispensable. Un oiseau s’est posé sur la branche de notre olivier.

Solidaire le monde de demain ? Comme le dit Richard Martin, un de mes amis directeur du théâtre Toursky à Marseille: « Je ne désespère pas d’espérer ».

Danielle Dufour-Verna

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